« RIEN N’EST JAMAIS ACQUIS…(1) »

Publié le par Léon SALERS

On savait, grâce à Utopies américaines (2), de Ronald Creagh, que les Etats-Unis ont abrité - et abritent encore - des communautés utopiques, fondées par des groupes mettant en œuvre « une volonté de vivre en dehors de la logique de la société dominante ». Avec l’ouvrage de Michel Cordillot (3), qui vient compléter les recherches de Creagh sur Nos cousins d’Amérique (4), on ne pourra plus ignorer l’existence, au « pays de l’Oncle Sam », d’un mouvement socialiste francophone, composé de Français, mais aussi de Belges.

 

 

 Bien sûr, l’histoire de tous ces  partageux aurait probablement mérité de plus amples développements, comme ceux que tu pourras lire, cher lecteur, dans un article de l’ami Samuel Bon (5). Néanmoins, ton humble serviteur ne s’attardera guère, ici, que sur un point : leur qualité de migrants, c'est-à-dire, pour faire très simple, de personnes passées d’un pays à un autre, pour s’y établir, souvent durablement.

Car avant même que d’être socialistes, et Michel Cordillot fait bien de le rappeler, ces femmes et ces hommes expatriés aux « States » étaient les ressortissants d’Etats européens, qui, lorsque survint la Grande Guerre, se brouillèrent avec la tendance germanophone du Parti Socialiste d’Amérique (6), pour des raisons analogues à celles qui jetèrent au même moment, les uns contre les autres, socialistes français et socialistes allemands. Bref, des déracinés qui, au moment de faire des choix douloureux, les firent en fonction, non pas de leurs convictions d’immigrés acquis aux thèses internationalistes, mais, bien plutôt, de leurs nationalités d’origine respectives.

Si à la lecture de ce livre on ne s’apercevait qu’ « alors même qu’ils sont de fait devenus des Américains, ces immigrés politisés continu[aient] fondamentalement de se voir comme des Français (ou des Belges) » (p 199) et que sans l’éclatement de la Grande Guerre cette nation américaine, qui « s’[était] construite sans eux voire contre eux » (p 198), n’aurait jamais symbolisé l’ « opposition au régime impérial autoritaire » (p 198) que connaissait l’Allemagne de Guillaume II au point qu’ils en viennent enfin à la considérer « comme leur patrie » (p 199), je n’aurais, mon cher lecteur, pas même pris la peine de te parler de ces drôles de socialistes d’Amérique. Seulement, voilà : à l’heure où l’on exigerait presque des migrants qu’ils soient Français avant même d’envisager leur admission, même très temporaire, sur le sol de la République (7), il me semblait intéressant d’attirer ton attention sur l’histoire de ces migrants, à qui il aura fallu des décennies d’établissement, ainsi que l’éclatement d’une guerre mondiale, pour que leur acculturation soit quelque chose de plus ou moins acquis.

            Cela étant dit, tu me connais, cher lecteur : tu tires les conclusions que tu veux bien tirer de tout ce que je viens de te raconter, tu les médites si tu veux et… tu vois si tu es prêt à me retrouver ici même, et très prochainement, pour de nouvelles aventures…

 

 

LÉON SALERS

15 octobre 2010

 

(1) Louis ARAGON, « Il n’y a pas d’amour heureux », in La Diane française, Seghers, 1946

 

(2) Ronald CREAGH, Utopies américaines. Expériences libertaires du XIXème siècle à nos jours, Agone, coll. « Mémoires sociales », 2009, 397 p

 

(3) Michel CORDILLOT, Révolutionnaires du Nouveau Monde. Une brève histoire du mouvement socialiste francophone aux Etats-Unis (1885-1922), Lux Editeur, 2009, 212 p

 

(4) Ronald CREAGH, Nos cousins d’Amérique. Histoire des Français aux Etats-Unis, Payot, 1988, 512 p

 

(5) Samuel BON, « Révolutionnaires du nouveau monde », Territoires, septembre 2010, n°510, p 53

 

(6) Fondé en 1901, en partie grâce à l’énergie d’Eugen Victor Debs (1855-1926), qui fut longtemps le président, à défaut de devenir celui des Etats-Unis.

 

 (7) Voir dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la prolifération, depuis 2003, de dispositions subordonnant la première délivrance d’un titre de séjour, ou son renouvellement, à une condition d’intégration républicaine. Voir, aussi, la prolifération de celles, toujours depuis 2003, exigeant, de la part de l’étranger primo-arrivant, une connaissance de la langue française que la plupart des enseignants de fac n’osent même plus, par crainte de complications ou de recours juridiques, solliciter de leurs étudiants français... Voir, pour aller plus loin, de juin 2010, l’Analyse collective du projet de loi « Besson » du 30 mars 2010 « relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité », qui s’inscrit complètement dans la politique juridique prévalant depuis longtemps en matière d’étrangers (analyse téléchargeable à l’adresse suivante : http://www.gisti.org/)

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