CONSEIL DE RENTRÉE SCOLAIRE

Publié le par Jean-Marc Forez

 

Le service le plus utile que des parents pourraient rendre à leurs enfants serait de soustraire ceux-ci aux établissements d’ignorance publique. Ce n’est pas tant qu’on y enseigne peu, c’est qu’on y désenseigne. Il suffit d’interroger n’importe quel lycéen d’aujourd’hui : des évènements les plus fameux, des poètes les plus connus, des notions les plus courantes, il ignore à peu près tout.

 

Un fait-divers récent, et très éloquent, un vrai conte moral, l’a récemment prouvé. On se souvient peut-être de ces deux garçons que leur père avait enlevés, quand ils étaient encore enfants. La police, alertée par la mère, les avait vainement recherchés. Or on vient, des années plus tard, de les retrouver. Ce sont de jeunes hommes, à présent, que leur père, qui les a tenus à l’écart du monde, dans des régions retirées, a élevé sans le concours de quiconque, pourvoyant seul à leur instruction et à leur éducation.

 

Ce fut un grand emballement médiatique : la presse, et l’opinion, étaient impatientes de voir ce qu’une mise au ban aussi rigoureuse (grandir sans collège ni lycée, mais aussi sans iPod ni PlayStation, sans blog ni « page Facebook » !) pouvait produire sur de jeunes esprits. Or, ce que les images découvrirent, splendidement, ce furent, non des mammifères ensauvagés, des croqueurs de glands, des mangeurs de racine, – mais deux adolescents s’exprimant dans un français impeccable, avec un vocabulaire riche et un raisonnement sans faille, et faisant montre dans leur maintien d’un degré de civilisation introuvable chez la très grande majorité des garçons de leur âge.

 

Soudain, ce que le téléspectateur vit, par défaut, ce fut l’image même de ce que l’école française donnait de meilleur, naguère ; et qu’elle ne produit plus, désormais. Brusquement, tout ce qui a été perdu, en deux ou trois décennies d’aplatissement scolaire, s’est matérialisé sous ses yeux. Il a su, s’il ne le savait déjà, que les sauvages, ce n’était pas ces adolescents retranchés du monde, mais ceux qu’ils croisent tous les jours, dans l’immeuble, dans la rue, socialement si bien intégrés, et si peu capables de politesse et de savoir-vivre, si peu maîtres de leur syntaxe et de leurs nerfs, – qui sont si prêts d’être tout un.

 

Trente ans à peine auront suffi à casser net, d’un coup d’un seul, comme un barreau de chaise sur un genou, l’école française. Or on n’a pu réussir cet exploit sans le concours de la société tout entière, des professeurs, des parents, des élèves : il fallait que tous fussent convaincus que chacun en sortirait grandi, car, comme souvent les crimes, celui-ci ne pouvait se perpétrer que couvert par l’humanisme de façade du Janus démocratique et égalitaire.

 

Ce tour de force, seules des idées généreuses (résumées par force slogans également détestables et oxymoriques, jacklanguiens pour ainsi dire : l’« égalité des chances » et la « réussite pour tous ») pouvaient, sans effrayer quiconque, y parvenir ; cet exploit, seuls des idéologues de la sociologie et des sciences de l’éducation, fanatiques formés au mensonge savant, pouvaient l’accréditer.

 

Il en va de tout ce qui demande une initiation, de l’enseignement comme du reste : l’objet se rétrécit à mesure qu’on le partage. Il ne se multiplie pas mais se divise. Pour avoir voulu passer outre cette élémentaire loi humaine, on n’a pas admis que plus les classes sont chargées, moins elles sont studieuses ; que plus il y a d’élèves, moins il y a de connaissances.

 

Puisque le nombre de lycéens augmente, et que chacun d’eux doit « suivre », on a bien été contraint de leur donner moins, en passant rapidement sur la Régence (trop barbant) ou sur le subjonctif imparfait (trop pointu) ; on n’a rien dit de Ratisbonne ni de Fontenoy (pas le temps) ; l’Impair s’est évaporé, « vague et soluble dans l’air », avec les imparisyllabiques et le Christ de Grünewald (à quoi bon). Tout est toujours trop vaste, trop difficile, trop ennuyeux, quand on est trop nombreux. Le nombre freine.

 

On a voulu que tous suivent, mais tous ne suivent pas, mais la plus grande part ne suit pas, mais le meilleur surtout, est lésé, délaissé au profit du nombre et dépouillé du savoir qui lui revient ; car c’est pour lui que l’on a peint le retable d’Issenheim, écrit Les Provinciales et publié « Londres fume et crie », pour lui que le savoir existe et qu’il existe des professeurs, puisque les professeurs n’existent pas pour tous, malgré qu’on en ait, mais pour révéler la phrase optative et l’antonomase, d’Arthez ou la duchesse de Longueville, – qui ne vont qu’à peu d’élus.

 

Jean-Marc Forez

Publié dans Crachoir

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