BONJOUR FRANÇOISE
Dix-huit ans et déjà une plume scandaleusement riche… Le premier roman de François Sagan, Bonjour tristesse, « qui fut un scandale mondiale » (1), que l’on peut désormais retrouver aux côtés d’autres textes importants dans Œuvres (2), n’est pas autre chose qu’un doux mélange d’autofiction et de roman psychologique.
Sans s’éloigner véritablement de sa vie d’originale, tout autant désabusée que furieusement idéaliste (3), Sagan livre dans ce roman à redécouvrir, comme dans chacune de ses autofictions, des émotions et sentiments, avec une « mémoire […] aussi menteuse que l’imagination, et bien plus dangereuse avec ses petits airs studieux ». Quant aux mots qu’elle utilise, ils sont autant d’armes visant à toucher le lecteur, avec une discrétion sur la vie d’autrui, une délicate pudeur quant à sa vie intime.
Avec Bonjour tristesse, sorti le 15 mars 1954, Sagan obtiendra le Prix des Critiques, connaîtra un succès de librairie immédiat (un an après sa publication, 850 000 exemplaires auront été vendus) et arrachera même à François Mauriac, déjà incontournable, ces quelques mots qu’il écrira en Une du Figaro : « […] ce Prix des critiques décerné […] à un charmant petit monstre de dix-huit ans [dont] le mérite littéraire éclate dès la première page […] n'est pas discutable. » (4) Son roman n’en sera pas moins l’objet du scandale : « toute une classe établie [en] fut effarouchée au point de faire de ce premier roman un phénomène ».
De quoi était-il question dans ce roman au nom tiré d’un vers de Paul Eluard ? Bonjour tristesse, roman hors du temps et hors du monde, réunissait trois personnages que la narratrice, Cécile, une adolescente qui vivait jusqu’alors dans un univers qui ne comprenait ni jalousie ni frustration, commençait par observer, pour mieux les analyser. Tandis que le sable, qui s’écoulait entre ses doigts comme le temps au fil des jours, devenait l’élément d’une diatribe panégyrique de la vie, Cécile se métamorphosait en spectatrice dubitative de sa pensée contrariée.
Isolée entre son père Raymond, homme volage autant aimable qu’aimant, Anne Larsen, femme imposante par sa présence et ses silences, pertinente et subtile mais à la fois vulnérable, et Elsa, proie subtilement et silencieusement méprisée, Cécile apprivoisait un nouveau sentiment « inconnu dont l’ennui, la douceur [l]’obsèd[aient] », (…) sur lequel elle hésitait « à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. »
Comme ses personnages Anne et Elsa, qui forment « une sorte d’antithèse entre le soleil et l’ombre », ce premier roman de Françoise Sagan fut donc tout autant rejeté qu’adulé.
Le soleil comme l’ombre de cet été ne sont-ils pas propices à une redécouverte de ce roman qui a déployé tant d’inimitié pour décrire ce qui ne fut, à l’époque, qu’une dérangeante frivolité ?
MATHILDE GRAVELIN
(1) Extrait de sa propre épitaphe, 2008, Jérôme Garcin, Le dictionnaire, Editions François Bourrin.
(2) François SAGAN, Œuvres, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, (1993) 2008, 1488 p, 29 €
(3) Sagan Le Film, Diane Kurys, DVD 2008, Alexandre Films, 137min.
(4), François MAURIAC, « Un charmant monstre », Le Figaro, 24 mai 1954.